LUNDI 12 OCTOBRE 2015 ⦾ ⦿ PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !
Aujourd’hui je capitule face à (1) mon féminisme dans cette radio peuplée d’hommes, (2) le besoin imminent de réenchanter le monde, (3) l’urgence de nous relier un peu plus à Mère Nature.
Chronique retour au berceau de l’humanité.
Il était une fois une reine des confins sud africains dotée de pouvoirs magiques. Héritière d’une lignée de femmes vivant parmi les femmes, Modjadji (prononcez Mou–Jad–Chi), de son nom, est tour à tour une déesse vivante, un redoutable shaman et une héroïne légendaire.
Une chose est sûre, c'est que depuis le XVIe siècle, elle met en émoi les raconteurs d’histoires... Elle, la seule et l’unique Reine de la Pluie !
RAINING MELODIES, CHAPITRE IV.
"La pluie tombe. Qui en est la cause ? / La cause en est la galante « faiseuse de pluie », Reine Modjadji / La cause en est le gouverneur de Monomotapa, du royaume des Karanga / Lui qui fit suffoquer par une pluie outrancière la rivière Molototsi / Notre reine noire de peau avec son visage de python des montagnes… / Si vos yeux pouvaient l’embrasser, alors le soleil s’éteindrait / Et au son du même tambour danseraient la vie et la mort ! / Les yeux de cette femme crachent des flammes / Ils réduisent en cendre la barbe grise des anciens / Leurs yeux rampent sur le sol en sa présence / Elle est une graine féconde de la tribu Kalanga / Ce clan ayant pour totem le cochon sauvage, qui se repaît de viande et dévore les hommes vivants. Le cochon de Bolobedu, la terre mère de la pluie… Une étendue fertile qui ne connaît pas la faim / La pluie tombe. Qui en est la cause ? / La cause en est la galante « faiseuse de pluie », Reine Modjadji / Celle qui mange le foie du lion / C’est du moins que les gens du Bolotswi racontent / (...)"
Texte du jeune poète David wa Maahlamela, originaire du Limpopo, ce territoire au nord-est de l’Afrique du sud où l’on parle, entre autres, la langue sepedi.
La Province du Limpopo, dans l’ancien Transvaal, à la lisière du Botswana, du Zimbabwe et du Mozambique, c’est le genre de paysage tentateur qui pourrait nous faire tout quitter : vastes plaines aux camaïeux vertigineux, montagnes colossales, forêts d'essences indigènes, sources minérales... Et vestiges préhistoriques aussi.
Le Limpopo et ses 160 villages sont le berceau de la tribu Lobedu, aussi appelée Bolobedu, la seule à travers le continent africain à avoir choisi pour monarque une femme.
La tradition orale colporte une foule d’histoires…
En 1580, le conseil des sages du riche royaume de Monomotapa, située dans l’actuel Zimbabwe, crie au scandale en découvrant que la princesse Dzugundini entretient une relation incestueuse avec son frère. La pièce à conviction est un enfant, difficile à cacher.
Afin d’éviter la guerre civile, le roi bannit sa fille de la maison royale, mais non sans lui remettre une corne magique, ainsi qu’une pharmacopée secrète. L’héritière initiée, elle migre sur la rive opposée de la rivière Limpopo et engendre un peuple. De mère en fille, les pouvoirs magiques se transmettent et pendant près de 200 ans, la tribu de Dzugundini prospère.
À la toute fin du XIXe siècle, les esprits des ancêtres informent celui qui est devenu roi des Lobedu, Mugobo, que ses fils lui destinent un complot. Pour ne pas fâcher ses conseillers de l’invisible, Mugobo décide de sacrifier sa progéniture traitresse et tant qu’à faire, d’épouser sa propre fille le jour de sa mort. Il s’assure ainsi que le trône tombe sous le règne du féminin… Féminin, gage de paix !
De l’union du père et de la fille, naît un fils… étranglé dans le berceau. Le second enfant de la reine (avec qui ? la légende ne le dit pas) est une fille. C’est elle qui devient la première Modjadji, entérinant ainsi la dynastie.
Dès lors, la reine choisit la réclusion. En haut d’une colline, des profondeurs de sa forêt sacrée, elle pratique à huit clos l’invocation de la pluie. Et il est vrai que le siège du pouvoir, le kraal au cœur de la région la plus aride du Limpopo, accueille, sous une couronne de brume et d’ondée, la plus grande concentration d’arbres cyclopéens (les Modjadji bread trees)… Tout pousse !
Alors c’est quoi le truc de la reine pour appeler la pluie ?! Il y a cette corne déjà évoquée. Mais aussi la massue votive sertie d’une statuette de cochon sauvage et sur laquelle les mots Modjadji (« la souveraine du jour ») et Pula (« la pluie ») sont gravés. Et au milieu de cet attirail, les formules ésotériques, les danses rituelles, les percussions gomana… On parle aussi de sacrifices d’enfants, d’utilisation de crânes, de potions prenant la peau humaine comme ingrédient… Charmant fumet destiné à chatouiller les nuages.
Annuellement, la Reine fait état de son aptitude à gouverner au cours d’une cérémonie automnale. Ce jour-là, elle est entourée d’un staff de docteurs en pluie qui risquent gros si leurs pronostics échouent. On prévoit des témoins affublés de cadeaux et quelques sacrifices pour les ancêtres. L’objectif est d’assurer assez de pluie pour garantir l’abondance des récoltes et des rivières. Mais on cherche aussi à glaner quelques tempêtes pour contrer les potentiels ennemis. Ça fait toujours peur, les tempêtes… D’ailleurs, la tribu Lobedu n’a jamais jugé utile de s’équiper en soldats.
Côté vie privée, la Monarque n’est pas autorisée à disposer d’un époux. La coutume est assez stricte. En revanche le Conseil royal lui choisir un harem de quinze épouses sélectionnées dans ses propres foyers, façon diplomatique de lui prêter allégeance. Évidemment, on se demande dans ces conditions comment est assurée sa reproduction... Et bien le jour où elle réclame un enfant, on lui sélectionne un sujet digne de son standing et disposé à combler ses désirs. Lorsque l’appétit de la reine déborde, on procède à quelques arrangements discrets ; il ne saurait être question de frustrer la « faiseuse de pluie ».
Depuis Modjadji I, cinq générations se sont succédées. En sachant qu’une fois la passation des pouvoirs secrets effectuée, en théorie, la reine mère s’empoisonne pour laisser régner la suivante. La lignée est en stand by depuis 2005 suite à une sombre histoire – fait divers et bad karma... (à suivre pour un prochain épisode !).
En tous cas, pas un seul patron de l’Afrique n’aurait tenté le courroux des reines, de crainte de subir la sécheresse. L’impitoyable roi zulu Shaka aurait adressé à l’avant-dernière Modjadji des émissaires pour recueillir sa bénédiction, la nommant la reine « aux quatre poitrines », eu égard à sa fertilité. Et Nelson Mandela aurait garni son garage avec deux cylindrées de luxes… avant que le Secrétariat d’État à la météorologie ne lui décerne un médaille pour les chutes d’eau prodigieuses de 1996.
Ah oui ?
Textes/articles : Rain Queens of Africa, The Lovedu Rain Queen, The making and prevention of rain amongst the Pedi tribe of South Africa: A pastoral response,
Enregistrements : Initiation and rain songs from the Tswana-speaking Ngwaketse of Botswana, Traditional Music of Botswana
Photos : Lori Waselchuck
Remerciements aux soeurs, aînées ou cadettes.