Samedi 1er octobre 2016, à 17h | Théâtre des Abbesses
Pandit Kushal Das, sitar | Gurdain Singh Rayatt, tabla
Dans le cadre de la saison 2016/2017 du Théâtre de la Ville. Au programme du Festival Namaste France 2016. Sous le haut patronage de l’Ambassade de l’Inde.
Une production du Collectif ECHO !
La musique de Kushal Das brille moins par son éclatante virtuosité que par l’appel irrésistible qu’elle exerce.
Kushal Das n’est pas fervent des discours. Il se méfierait presque de l’expression qui n’est pas musique. Comme si cette pudeur à nommer, et encore davantage à se raconter, était la condition morale pour qu’une vérité au-delà du langage soit libérée.
Car derrière son allure imposante se dissimule un génie de sensibilité. Son art appliqué au sitar pourrait bien chuchoter une part du mystère originel. Peut-être parce qu’à chaque note prélevée au silence, le maître accorde un soin absolu jusqu’à attiser son pouvoir cathartique ? Peut-être parce que sa recherche toujours plus poussée de sens, de nuance, de justesse nous met en mouvement vers la beauté / le sacré ?
De Londres à Mumbai via Calcutta dont il est originaire, Kushal Das, puisant dans la précision du cycle, est considéré comme un roi de l’ordonnancement esthétique dont le rasa est au cœur. Lorsqu’on le fait parler de ses récitals les plus bouleversants, le quinquagénaire se souvient qu’il ne se souvient de rien, précisément. « C’est le signe que quelque chose de spécial a eu lieu. À écouter ces enregistrements, j’ai peine à réaliser que je suis ce musicien… Peut-être étais-je habité ? (…) Je sais seulement que je dois garder vivant pour la prochaine génération ce sens élaboré de la présentation », consistant à apprivoiser l’esprit du raga dans une temporalité longue.
Contre l’approche dilettante qui prévaut désormais dans les concerts de musique classique, il ajoute : « si votre musique est pure et puissante des heures durant, si vous parvenez à être tout entier émotion, tout en mobilisant vos plus fantastiques capacités techniques, alors l’audience sera captivée. Que ce soit Marwa, Kausi Kanada, Bageshri [quelques-uns de ses ragas préférés], tous feront l’expérience du sentiment avec une attention soutenue. »
Un autre atout lui vaut l’admiration de sa gharana[1] : le Aarti Jhala, technique sur sitar attribuée à Pandit Lakhsman Bhattacharya, guru de son père Sri Sailen Das, et qu’il serait seul à maîtriser aujourd’hui. Cet effet s’inspire de l’harmonie de trois cloches utilisées au crépuscule dans les temples à l’occasion des cérémonies puja. Pandit Ravi Shankar lui-même l’aurait insatiablement interrogé sur cette pratique capable d’insuffler la piété. Un secret préservé par l’intéressé que la question de l’identité préoccupe au plus haut point : qu’est-ce qui fonde l’originalité d’un artiste ? Quelles ressources doit-il développer pour qu’au premier instant de l’alap, en quelques pincements de cordes, son nom soit identifiable entre tous ?
La All India Radio a officialisé son entrée dans le cercle des maîtres révérés de l’Inde contemporaine en 2012 ; les grands festivals le courtisent ; les jeunes musiciens se pressent pour recevoir son enseignement ; les journalistes aiment en faire leur sujet d’étude ; les invitations à l’étranger se multiplient. Mais au fond, ce qui lui importe est d’ajouter sa touche de révolution à la discipline, ainsi que l’ont fait ses prédécesseurs de la Maihar Gharana[2].
Dans les pas de l’admiré Pandit Nikhil Banerjee, ce gardien-éclaireur est ainsi engagé dans une (con)quête sans fin pour incarner les infinies ressources de l’instrument et tracer son sillage dans la géographie des modes qui préside à la cosmologie indienne. Les mots de l’Indianiste Alain Danielou, à son écoute, résonnent : « Cette unité fondamentale de la matière, de la pensée, de la sensation, de la vie, qui transparait dans la musique hindustani nous permet de pressentir la nature du Cosmos, la réalité fondamentale de la Création.[3] »
Pour son unique passage à Paris cette saison, le pandit a choisi d’être accompagné par Gurdain Singh Rayatt. La trajectoire de ce joueur de tabla de 29 ans est pareille à une étoile filante qui n’en serait qu’à ses premiers éclats…
Fruit chéri d’une famille sikh établie à Londres, versée dans les arts et bien connue pour ses talents et sa philanthropie, le garçon ne fait pas exception. Dès ses trois ans, il révèle d’évidentes dispositions rythmiques et un féroce appétit d’apprendre que son grand père, Bhai Gurmit Singh Virdee, et son père, Ustad Harkirat Rayatt, tous deux musiciens et maîtres spirituels, tâchent de faire fructifier.
Il reviendra à Pandit Shankar Ghosh, éminent représentant de Farukhabad Gharana[4] qui s’est éteint en janvier 2016, de guider le jeune homme pendant près de treize années. Parallèlement, Gurdain complète son talim (enseignement) aux côtés des héros de la discipline : Suresh Tawalkar, Kumar Bose, Anindo Chatterjee ou Swapan Chaudhuri. Il aime aussi recevoir de Yogesh Samsi, Subhankar Banerjee et même de Prabhu Edouard, notre tablaïste national.
Diplômé félicité, voyageur infatigable, camarade de tournée espiègle et estimé, esprit vif et insatiable, il prend graduellement sa place dans l’arène des jeunes talents européens qui ont su se rendre indispensables. Il est apprécié pour sa sensibilité et son goût du jeu le menant sur des chemins toujours plus audacieux. De Pandit Birju Maharaj (danse kathak) à Vidushi Kala Ramnath (violon) en passant par Debashish Bhattacharya (slide guitare) et bien sûr Pandit Kushal Das, tous s’accordent sur l’intérêt de partager avec lui de prestigieuses scènes.
Edith Nicol / Collectif ECHO
Deux disques parus en France :
* KUSHAL DAS, surbahar (Inde du Nord) – Raga Marwa – Radio France, collection OCORA, 2004.
* KUSHAL DAS, sitar (Inde du Nord) – Raga Bilaskhani Todi / Raga Sohini – Radio France, collection OCORA, 2008.
[1] Ecole autant que lignée.
[2] Gharana fondée par le multi instrumentiste et « monstre sacré » Ustad Allaudin Khan au milieu du XXe siècle. Parmi ses éminents représentants, citons Pandit Ravi Shankar, Ustad Ali Akbar Khan, Maa Annapurna Devi, Pandit Pannalal Ghosh ou Pandit V.G. Jog…
[3] Alain Danielou, L’Esthétique et la musique indienne (article), 1976.
[4] Ecole de tabla de Calcutta établie au XIe siècle et ayant vu se succéder 33 générations. Son calife actuel est Ustad Sabir Khan.