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Chronique #4 Raining Melodies ⟨Rural Bengal⟩

LUNDI 28 SEPTEMBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !


La semaine dernière, ma chronique barbotait dans l’atmosphère mousseuse de Calcutta, où parapluies, couvre-chef variés et tongs plastifiées deviennent, le temps d'une saison, des extensions naturelles pour quelques 16 millions de corps amphibies.

Aujourd’hui : nouvel épisode chez les Bengalis. Leurs regards restent rivés vers le ciel et leurs oreilles n’en finissent plus de se tendre vers le lointain : elles traquent les grondements avant-coureurs. Mais apparemment, c’est en vain, puisque la pluie allume la ville sans prévenir et met les voiles à la vitesse de l’éclair. 

Plus rien, donc, ne semble prévisible dans le mouvement du ciel. Et peu importe : l’esprit de la mousson, attendue ou subie, ne cesse d’inspirer… 

RAINING MELODIES, CHAPITRE II. 

Passons les frontières de la ville – la ville est arrogante, surtout Calcutta. Et remontons à la source, en prenant le temps d’un détour rural. 

Monsoon Rains, Monghyr, Bihar, 1967 © Raghubir Singh

Monsoon Rains, Monghyr, Bihar, 1967 © Raghubir Singh

West-Bengal indien, Bangladesh, culturellement, des jumeaux hétérozygotes... Pour sa part essentielle, le Bengale est ce plat pays ceinturé par l’immense tresse d’eau du Gange et celle de son cousin sauvage le Brahmapoutre, mis en pièces par leurs affluents, avant de se retrouver pour un peu d’amour libre, puis de se disloquer une dernière fois dans le plus grand delta du monde. Leurs flots changent de noms à chaque lacet.

La première tresse, venue de l’ouest, exubérante, n’appartiendrait à nul autre qu’au Seigneur Shiva. Il aurait dompté, dans l’enchevêtrement de ses cheveux de cendres, l’impétueuse Ganga. La Déesse menaçait de séparer la terre en deux, alors il fallait bien l’arrêter… Après avoir fécondé la plaine, le fleuve se défait en milliers de mèches, formant plein sud une mangrove que se partagent une poignée de pêcheurs-cueilleurs héroïques et une brigade de tigres assez francs du collier.

La terre bengalie, quadrillée de rivières, a son miroir… et c’est le ciel. Le ciel dont on ne peut que chérir les camaïeux mobiles. Des flux et reflux de lumières au gré des six saisons.

Au pic de l’été fournaise - l’équivalent de notre printemps, il paraît comme enlisé, ce ciel. Les gorges se dessèchent dans l’angoisse. Les rives sablonneuses ne livrent plus que de la poussière. Les martins-pêcheurs se suicident dans la boue figée. Les feuilles du manguier échoient dans la cour. La maîtresse de maison cuisine péniblement ce qu’elle peut. 

Du Cooch Bihar au nord, aux Sunderbans plein sud, en passant par Sylhet à l’est du Bengale oriental, les villageois guettent ce ciel trop pur. Leur cœur est au bord de l’implosion tant ils souffrent du désir de pluie… On interpelle, on supplie alors Dieu.

Voilà ce que narre cette chanson folk, Allah megh de, pani de (« Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau »), composée par le maître du genre bhawaiya, Abbas Uddin Ahmed, gentleman-ménestrel des années 30.

Le ciel ne se laisse pas aisément attendrir. À son heure, et seulement à son heure, il consent à quelques signes. Alors, sa voûte versatile se recompose instantanément. Et le vent, son pinceau, trace de saisissantes formes géographico-futuristes…

Plus tard, le ciel bouillonne et se fissure pour ouvrir une ère de libération. La rondeur généreuse des rivières à venir… la fertilité des terres qui oscillent du jaune pop au vert acidulé... le grand salut, c’est lui !

D’après le calendrier traditionnel bengali, deux mois seulement sont dévolus à la mousson. Le premier est Ashar : lorsque les pluies sont intermittentes, mais puissantes, voire dévastatrices. Les grandes eaux investissent toute cavité offerte, faisant vriller le plat en plein – trop plein. Le deuxième mois est Srabon : les nuages se lassent du cache-cache, et en continu, font tomber des rivières à la verticale. Les pluies sont certes adoucies, mais on s’endort et on se lève dans des draps moites, on parcourt le chemin de l’eau aux genoux, et on soupire de neurasthénie. Changement climatique oblige, la mousson s’étale désormais sur quatre mois… chargeant les villages de sons saisonniers.

Comme les gestes du quotidien, les voix, les mots, s’ajustent au ciel. Accompagnée au luth dotara, voici une chanson minimaliste à forte teneur mélancolique, dérivée des années 50. Son auteur et interprète est Bijoy Sarkar, un ménestrel des plus spirituels qui aura marqué la mémoire orale du Bengale d’avant la Partition.

Le pitch : la mousson bat son plein. Une tempête noie le banc de sable où vit Bijoy le Fou et évidemment balaye sa cabane. Elle n’épargne ni ses possessions matérielles, ni son cœur ; mais le feu intérieur du poète bâul, son esprit vagabond résiste… et rivalise de fantaisie. Une nymphe des eaux se manifeste alors depuis l’arbre « toujours vert » qui dépasse des eaux. En contemplant le désastre, elle pleure le chagrin inextinguible du poète, elle pleure l’ironie du destin…


Allah megh de, pani de / Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau

La chaleur de l’après-midi fait tout flamber, les rives sablonneuses n’en finissent plus d’être infertiles.

Poitrines incendiées, gorges desséchées,

Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau, donne-nous de l’ombre.

Le ciel se fend en éclats, la terre se craquèle.

Le Roi des nuages est endormi, mais qui donc nous donnera de l’eau ?

Le maître de maison a attaché son bœuf et pleure d’impuissance, la réclamant à grands cris,

La maîtresse de maison se répand en larmes tout en cuisinant lentilles et bouillie,

Les feuilles du manguier tremblent, celles du jacquier dégringolent,

Les martins-pêcheurs, crevant de soif, meurent dans la boue des lacs.

Les rigoles, les lacs et les rivières sont fissurés,

Les oiseaux, dans leur complainte funèbre, sont condamnés.

Le couple de pigeon pleurniche dans son nichoir,

Les bourgeons flétris échoient sur le sol…


Remerciements au ciel (toujours) et à Soumik Datta, Saurav Moni, Arunima Choudhury. 

tags: Bangladesh, West Bengal, monsoon, Abbas Uddin Ahmed, Bijoy Sarkar, bâul, poetry, rain, sky, Calcutta
categories: Radio, India, Bangladesh
Monday 09.28.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]
 

Chronique #3 Raining Melodies ⟨Calcutta forever⟩

LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !


Brishti sharajibon ridoike bhiji é déye. ≫ Une vie entière de déluge humecte l'âme.

Proverbe bengali

A piece of Kolkata after the rain, 2015 ©Edith

RAINING MELODIES, CHAPITRE I.

Paris, rive gauche. 8e et dernier étage. 

Une chambre miniature propice à la rêverie. Au-delà des toits, le ciel.

La grisaille se convertit en épaisses nuées. Les nuées se déplacent à pas de géant. 

Soudain, la goutte inoffensive est ralliée : en lignes verticales, elles sont maintenant une armée. 

Donnez-leur de la pesanteur et du zinc et elles mueront en notes…

Le téléphone sonne. Un appel amical de Calcutta. Au bout de quelques instants, la communication s’interrompt.

J’ai juste le temps d’attraper :  « hey bondhu, coming back soon, network is very bad, big rain’s coming. » 

Puis la voix laisse place à un biiiiiiiiip… et à un état de manque.

Ce matin, un petit frère de Calcutta enregistre la pluie avec son portable et m’envoie ce son : 

Mon imagination reprend sa liberté plus rapidement qu’un nuage. Calcutta n’est jamais très loin.

Je me transporte mentalement dans ses artères sud. Aux abords de Dhakuria Bridge.

Tous les quartiers valent la ville. Il faut s’y enfoncer. Il faut lui faire l’amour. Y regarder tout, tout le temps, comme au premier jour. Celle ou celui qui accepte de lui appartenir est systématiquement récompensé(e). Sa lumière est magistrale. Sa désuétude est irrésistible. Son conservatisme est une bénédiction.

Monsoon time in Kolkata, 1951. Photographed for LIFE Magazine.

Monsoon time in Kolkata, 1951. Photographed for LIFE Magazine.

À présent, j’ai des frissons. L’humidité sature l’air chaud. La pluie vient de cesser sur la ville. La mousson est en queue de comète ces jours-ci.

Les Bengalis s’obstinent à contourner les flaques acrobatiquement, les pieds déjà mouillés. Les Ambassadors flashies-défraîchies n’en ont que foutre et éclaboussent à toute blinde. Les rickshaws wallah relancent leur ballet du point A au point Z, du point Z au point A. L’intense activité reprend ses droits comme on arrache un pansement. Les échoppes de rue dévoilent à nouveau leur bric-à-brac. Les vendeurs de subji en longi sortent leur museau. Les chiens se frayent un chemin vers les poubelles. Les poules encagées recommencent à caqueter pour appeler au secours. Les chalands propres sur eux renoncent au spectacle du ciel et se résignent à retourner derrière le comptoir…

Calcutta, bastion royal destitué, cité de Kali Ma la possessive. Calcutta, matrice des arts. Avec ou sans pluie. Dont les habitants sont des poètes de l’anarchie en ordre. Et franchement tous. Évidement les esprits imaginatifs d’abord : les vieux qui savent tout, les Didis qui font la morale à plein temps, les hordes de djeunes qui larguent les amarres la nuit, les révolutionnaires du lendemain qui sirotent à Coffee House, les poètes érudits qui fument bidis sur clopes, les libraires spécialisés dans les éditions cramoisies de Tagore, les cinéastes qui se disputent Ray ou Ghatak, etcétéra, etcétéra…  Mais aussi, bien sûr, les pandits et les vidushis de la tradition musicale savante.

Monsoon time. Une saison magique sur laquelle les maîtres aiment broder.

On raconte que les génies musicaux de l’Inde ancienne ont constaté (de leur yeux constaté) que certaines notes, portées par certaines phrases, ont le pouvoir d’obscurcir le ciel et de percer les nuages. On continue, d’ailleurs, de revendiquer les faveurs des Dieux en chantant. L’opportunité d’une tentative : égaler la nature, rivaliser avec son audace, la talonner jusqu’à la sublimer.

Parmi le corpus de ragas qui est donné à entendre lors de la saison des pluies, il y en a un qui séduit largement : Megh. Son ancienneté est indiscutée. Sa genèse vaut celle du système musical classique indien, puisqu’il appartiendrait aux six ragas « primitifs ».

Megh renvoie, en sanskrit, aux nuages, à la pluie, à la guerre – aussi. On attribue à Mian Tansen, théoricien, compositeur et virtuose, grand chouchou de la cour de l’Empereur Akbar au XVIe siècle, une idée : « le Rag Megh se manifeste dès que les nuages se rassemblent dans le ciel et que les premières gouttes s’écrasent contre la terre. Il s’impose d’emblée. Ce n’est pas une création de l’esprit. C’est un fruit de la nature elle-même. »

Il se raconte ainsi que Megh, dédié au royaume de l’eau, aurait les mêmes caractéristiques extatiques que son opposé Deepak, traduisant le domaine du feu. Jouer Deepak au creux de l’été, lorsque toute chose vivante se dissout dans une chaleur intenable, c’est courir le risque de l’incendie. Megh, l’incarnation de la mousson qui succède, vient faire la nique à la cruelle sécheresse. Le rag éteint les flammes… non sans un certain sens du drame. Mais en épargnant tout à fait celles qui jaillissent dans le cœur du mélomane.

Une interprétation célébrissime du Rag Megh Malhar par Ustad Amir Khan, chanteur vénéré disparu il y a 40 ans, à travers un film expérimental de 1974 conçu par la Films Division of India. Peut-on faire mise en scène plus romantique ?


Remerciements au ciel et à Lionel Bodis, Pierre-Antoine Lasnier, Soumik Datta, Denis Teste.

tags: monsoon, Indian classical music, Amir Khan, hindustani, Calcutta, Paris, season, rain pluie
categories: Radio, India
Monday 09.21.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]