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Chronique #7 Raining Melodies ⟨crôa-crôa⟩

LUNDI 19 OCTOBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !

(chaotique enregistrement ! :) 


Certes, le bitume détrempé de la rue des Petites Ecuries appelle un peu moins que les bancs de sable de Marie Galante. [D'ailleurs, welcome back à l'amie de la Guadeloupe et complice, Caroline Bourgine !] 

Pour autant, je ne suis pas lasse de Paris, de l’automne, de sa pluie. La pluie, c’est un peu le ciel qui féconde la terre. Comment la juger moins sacrée que le soleil? Et puis, à y regarder de plus près, il y a autant d’histoires de pluie que de gouttes qui tombent...

RAINING MELODIES, CHAPITRE V.

Il existe une énigme que l’on retrouve sous toutes les latitudes et à toutes les époques : quelqu’un ici a-t-il déjà entendu parler de la « pluie d’animaux » ?

Ce phénomène météorologique rare consiste en l’observation de créatures dépourvues d’ailes, qui pourtant « pleuvent » du ciel. 

Un siècle avant J.-C., le philosophe naturaliste Pline l’Ancien décrivit ainsi une tempête de grenouilles et de poissons. Plus près de nous, en 1794, des soldats français témoignèrent d’une descente de crapauds géants près de Lille. Encore plus près de nous, en 2010, quelque part dans le bush australien, on aurait mis la main sur un spécimen endémique de perches à paillettes tombé des nuages. 

Et aujourd’hui même, les habitants de la province de Yoro, au Honduras, célèbrent la Lluvia de Peces ("la pluie de poissons") au cours de festivités fameuses dans tout le pays. 

 

Je vous laisse enquêter sur les causes et spéculer, au détour, sur l’origine de l’expression british "it’s raining cats and dogs". Et je m’en retourne du côté de la musique, avec ce sujet tellement plus subtil et rationnel : les chansons de crapauds.

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Aujourd'hui, la destination est arbitraire – l’Amérique du Nord – et le fonds, j’en suis fan. C’est celui du Smithsonian Museum de Washington, avec son label non lucratif : Folkways.

Mon oreille, pour commencer, s’est noyée dans la bible de la musique folk américaine. L’Anthologie de Harry Smith, artiste de l’avant-garde et collecteur nomade, qui s’imposa à sa sortie en 1952 comme un phare sur la mer du patrimoine oral avec ses six volumes et ses 84 enregistrements de terrain.

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Livret de l’anthologie 

 

Ouvrons avec une petite danse cajun enregistrée en 1929 à Memphis au Tennessee dont le crapaud est le héros. L’accordéoniste s’appelle Colombus Frugé. On ne sait rien de ce descendant d’Acadien, sinon qu’il jouait déjà à l’âge de six ans dans les parages d’Arnaudville, en plein cœur des bayous de Louisiane. Prêtez attention aux paroles, vous devriez parvenir à les décrypter… 

Saute crapaud! / Ta queue va brûler! / Mais prends courage, / Elle va repousser. / Va y donc, crapaud! / L'hiver après prendre! / Saute crapaud! / Ta queue va brûler! / Mets (mais?) chère Pauline / Une tasse de café. / Oh crapaud, / Qui q'as fait ton gilet? / C'est Rose Martin, / La fille à maman.

 

Faisons halte dans l’Illinois, avec une chanson accompagnée à la guitare et au dulcimer des Appalaches, cet instrument à cordes pincées et en forme de huit (cousin de l'épinette des Vosges, du hummel flamand ou du scheitholt allemand). Nous sommes dans les années soixante, chez Monsieur et Madame Amstrong et leurs filles, Becky et Jenny. Une famille « Petite Maison dans la Prairie », dépositaires d’un ancien folklore européen… La chanson Frog went a Courtin’ est réputée, puisqu’on lui connaît une foultitude de versions ; huit, rien que dans le catalogue de Smithsonian Folkways ! Apparemment, elle était déjà chantée dans les Iles Britanniques au XVIe siècle.

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C’est donc l’histoire d’un prétendant grenouille armé d'un pistolet qui part faire la cour à Miss Mousie. Il frappe à sa porte - jusqu’à ce que son poignet en devienne douloureux, il tombe à genoux face à elle et la demande en mariage. Je vous passe les détails mais la jolie souris négocie, et après maintes péripéties, les amoureux prennent la mer pour une lune de miel dans le pays du romantisme (le nôtre).

 

Enfin, il me paraît insensé d’évoquer la tradition orale du continent américain sans faire mention de ses primo-occupants : nos amis Hurons, Sioux, Iroquois, Apaches, Navajos, Hopis, Inuits, Eskimos (et j’en passe)… faisant corps avec la nature et pactisant avec ses habitants non humains.

Natives of North America. Inuit of Labrador, Inuit woman of Greenland, Apache, Navaho, Koshimo woman (Vancouver), Cheyenne, Mandan, Ute, Blackfoot, Woman Moki chief, Nez Percé, Wichita woman. 1914

Natives of North America. Inuit of Labrador, Inuit woman of Greenland, Apache, Navaho, Koshimo woman (Vancouver), Cheyenne, Mandan, Ute, Blackfoot, Woman Moki chief, Nez Percé, Wichita woman. 1914

Ouvrez les guillemets : « Si tu parles aux animaux, ils te répondront et tu finiras par connaître chacun. Si tu ne leur parles pas, tu n’apprendras rien. Ce que tu continueras à ignorer, tu le craindras. Et ce que tu craindras, tu seras tenté de le détruire. » - Chef Dan George, de la nation Tsleil-Waututh (Colombie britannique)

Un vaste sujet qui fera certainement l’objet d’une nouvelle chronique. 

Je vous propose de conclure avec deux danses de la pluie. En tendant un peu l’oreille vers l’invisible, on n'entend pas seulement les batraciens, mais la faune toute entière...

  1. Anthology of North American Indian and Eskimo Music, 1973
  2. Music of the American Indians of the Southwest, 1951
Nicholas Black Elk: "The Holy Land is everywhere". 

Nicholas Black Elk: "The Holy Land is everywhere". 


Pensées parfumées d'estime à Atesh Sonneborn, directeur des acquisitions à Smithsonian Folkways. Remerciements à Bruno et Etienne, le "magic duo" de New Morning Radio. 

tags: Amérindiens, Pluie, rain, frog, toad, grenouille, crapaud, animal, pluie d'animaux, Harry Smith, Anthology, American folk music, cajun, Appalaches, dulcimer, Indigenous
categories: Radio, America
Monday 10.19.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]
 

Chronique #6 Raining Melodies ⟨Modjadji Queen!⟩

LUNDI 12 OCTOBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !


Aujourd’hui je capitule face à (1) mon féminisme dans cette radio peuplée d’hommes, (2) le besoin imminent de réenchanter le monde, (3)  l’urgence de nous relier un peu plus à Mère Nature.

Chronique retour au berceau de l’humanité.

Il était une fois une reine des confins sud africains dotée de pouvoirs magiques. Héritière d’une lignée de femmes vivant parmi les femmes, Modjadji (prononcez Mou–Jad–Chi), de son nom, est tour à tour une déesse vivante, un redoutable shaman et une héroïne légendaire. 

Une chose est sûre, c'est que depuis le XVIe siècle, elle met en émoi les raconteurs d’histoires... Elle, la seule et l’unique Reine de la Pluie !

 RAINING MELODIES, CHAPITRE IV.

"La pluie tombe. Qui en est la cause ? / La cause en est la galante « faiseuse de pluie », Reine Modjadji / La cause en est le gouverneur de Monomotapa, du royaume des Karanga / Lui qui fit suffoquer par une pluie outrancière la rivière Molototsi / Notre reine noire de peau avec son visage de python des montagnes… / Si vos yeux pouvaient l’embrasser, alors le soleil s’éteindrait / Et au son du même tambour danseraient la vie et la mort ! / Les yeux de cette femme crachent des flammes / Ils réduisent en cendre la barbe grise des anciens / Leurs yeux rampent sur le sol en sa présence / Elle est une graine féconde de la tribu Kalanga / Ce clan ayant pour totem le cochon sauvage, qui se repaît de viande et dévore les hommes vivants. Le cochon de Bolobedu, la terre mère de la pluie… Une étendue fertile qui ne connaît pas la faim / La pluie tombe. Qui en est la cause ? / La cause en est la galante « faiseuse de pluie », Reine Modjadji / Celle qui mange le foie du lion / C’est du moins que les gens du Bolotswi racontent / (...)"

Texte du jeune poète David wa Maahlamela, originaire du Limpopo, ce territoire au nord-est de l’Afrique du sud où l’on parle, entre autres, la langue sepedi. 

Lobedu territory

Lobedu territory

La Province du Limpopo, dans l’ancien Transvaal, à la lisière du Botswana, du Zimbabwe et du Mozambique, c’est le genre de paysage tentateur qui pourrait nous faire tout quitter : vastes plaines aux camaïeux vertigineux, montagnes colossales, forêts d'essences indigènes, sources minérales... Et vestiges préhistoriques aussi. 

Le Limpopo et ses 160 villages sont le berceau de la tribu Lobedu, aussi appelée Bolobedu, la seule à travers le continent africain à avoir choisi pour monarque une femme.

La tradition orale colporte une foule d’histoires…

En 1580, le conseil des sages du riche royaume de Monomotapa, située dans l’actuel Zimbabwe, crie au scandale en découvrant que la princesse Dzugundini entretient une relation incestueuse avec son frère. La pièce à conviction est un enfant, difficile à cacher.

Afin d’éviter la guerre civile, le roi bannit sa fille de la maison royale, mais non sans lui remettre une corne magique, ainsi qu’une pharmacopée secrète. L’héritière initiée, elle migre sur la rive opposée de la rivière Limpopo et engendre un peuple. De mère en fille, les pouvoirs magiques se transmettent et pendant près de 200 ans, la tribu de Dzugundini prospère.

À la toute fin du XIXe siècle, les esprits des ancêtres informent celui qui est devenu roi des Lobedu, Mugobo, que ses fils lui destinent un complot. Pour ne pas fâcher ses conseillers de l’invisible, Mugobo décide de sacrifier sa progéniture traitresse et tant qu’à faire, d’épouser sa propre fille le jour de sa mort. Il s’assure ainsi que le trône tombe sous le règne du féminin… Féminin, gage de paix !

De l’union du père et de la fille, naît un fils… étranglé dans le berceau. Le second enfant de la reine (avec qui ? la légende ne le dit pas) est une fille. C’est elle qui devient la première Modjadji, entérinant ainsi la dynastie.

Dès lors, la reine choisit la réclusion. En haut d’une colline, des profondeurs de sa forêt sacrée, elle pratique à huit clos l’invocation de la pluie. Et il est vrai que le siège du pouvoir, le kraal au cœur de la région la plus aride du Limpopo, accueille, sous une couronne de brume et d’ondée, la plus grande concentration d’arbres cyclopéens (les Modjadji bread trees)… Tout pousse !

Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province
Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province

Source. 

Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province.
Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province.

Taken at bolobedu ha masthwi. Bolobedu actually means “ho loba” a place were people lose their daughters and sons. Source. 

Booklet about Modjadji (first hand accounts).
Booklet about Modjadji (first hand accounts).

Source

Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province Balobedu tribal traditional dancers, Modjadji Northern Province. Booklet about Modjadji (first hand accounts).

Alors c’est quoi le truc de la reine pour appeler la pluie ?! Il y a cette corne déjà évoquée. Mais aussi la massue votive sertie d’une statuette de cochon sauvage et sur laquelle les mots Modjadji (« la souveraine du jour ») et Pula (« la pluie ») sont gravés. Et au milieu de cet attirail, les formules ésotériques, les danses rituelles, les percussions gomana… On parle aussi de sacrifices d’enfants, d’utilisation de crânes, de potions prenant la peau humaine comme ingrédient… Charmant fumet destiné à chatouiller les nuages. 

Annuellement, la Reine fait état de son aptitude à gouverner au cours d’une cérémonie automnale. Ce jour-là, elle est entourée d’un staff de docteurs en pluie qui risquent gros si leurs pronostics échouent. On prévoit des témoins affublés de cadeaux et quelques sacrifices pour les ancêtres. L’objectif est d’assurer assez de pluie pour garantir l’abondance des récoltes et des rivières. Mais on cherche aussi à glaner quelques tempêtes pour contrer les potentiels ennemis. Ça fait toujours peur, les tempêtes… D’ailleurs, la tribu Lobedu n’a jamais jugé utile de s’équiper en soldats.

Côté vie privée, la Monarque n’est pas autorisée à disposer d’un époux. La coutume est assez stricte. En revanche le Conseil royal lui choisir un harem de quinze épouses sélectionnées dans ses propres foyers, façon diplomatique de lui prêter allégeance. Évidemment, on se demande dans ces conditions comment est assurée sa reproduction... Et bien le jour où elle réclame un enfant, on lui sélectionne un sujet digne de son standing et disposé à combler ses désirs. Lorsque l’appétit de la reine déborde, on procède à quelques arrangements discrets ; il ne saurait être question de frustrer la « faiseuse de pluie ».

Depuis Modjadji I, cinq générations se sont succédées. En sachant qu’une fois la passation des pouvoirs secrets effectuée, en théorie, la reine mère s’empoisonne pour laisser régner la suivante. La lignée est en stand by depuis 2005 suite à une sombre histoire – fait divers et bad karma... (à suivre pour un prochain épisode !).

Makobo Modjadji VI, the last queen (reign: 2003-2005)

En tous cas, pas un seul patron de l’Afrique n’aurait tenté le courroux des reines, de crainte de subir la sécheresse. L’impitoyable roi zulu Shaka aurait adressé à l’avant-dernière Modjadji des émissaires pour recueillir sa bénédiction, la nommant la reine « aux quatre poitrines », eu égard à sa fertilité. Et Nelson Mandela aurait garni son garage avec deux cylindrées de luxes… avant que le Secrétariat d’État à la météorologie ne lui décerne un médaille pour les chutes d’eau prodigieuses de 1996. 

Ah oui ?

Mokope Modjadji V (reign: 1981-2001) / From African Kings, Portraits of a Disappearing Era © Daniel Lainé (2000) // Article New York Times (2001)


Textes/articles : Rain Queens of Africa, The Lovedu Rain Queen, The making and prevention of rain amongst the Pedi tribe of South Africa: A pastoral response, 

Enregistrements : Initiation and rain songs from the Tswana-speaking Ngwaketse of Botswana, Traditional Music of Botswana

Photos : Lori Waselchuck


Remerciements aux soeurs, aînées ou cadettes. 

tags: The Rain Queen, Modjadji, Limpopo, South Africa, shamanism, rain, pluie, Reine, Nature, David wa Maahlamela, sorcellerie, Dinaka, sepedi, Féminin, Reine de la pluie
categories: Africa, Radio
Monday 10.12.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]
 

Chronique #5 Raining Melodies ⟨héraut kurde⟩

LUNDI 5 OCTOBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !


Ce soir, une nouvelle histoire de pluie. Une pluie métaphorique et pas tendre.

Au commencement : encore la petite chambre rive gauche, au milieu de la nuit, dans la brume.

Le temps s’égraine jusqu’à l'anéantissement. Mon ami Adrien et moi discourons. Nos pensées, ou plutôt nos suites d’images, refusent apparemment tout tracé - elles préfèrent les voies aériennes. Nos phrases, surtout des bribes, s’articulent comme se fabrique le voyage - d'une décision jetée au hasard jaillit parfois un jeu de dominos miraculeux...

À un moment donné dans la conversation, je songe à un texte entendu sur le vent qui rend ivre. Alléchante, l’idée que la Nature soit un puissant narcotique. Une écoute chassant l’autre, le hasard nous mène à un autre poème : "Printemps Kurde".

"L’averse m’a rincé le cœur, elle l’a tordu comme une éponge, alors le seul fait d’être au monde remplissait l’horizon jusqu’au bord." Ainsi parle l'écrivain-voyageur Nicolas Bouvier, traqueur de pistes.

Dans quelques heures, Adrien aura regagné la chaleur du Bengale indien. Notre été aura eu un goût de souffre, et notre automne ressemble étrangement à un printemps  – avec les intempéries qui vont avec. 

RAINING MELODIES, CHAPITRE III.

Cette nuit là, lui et moi avons évoqué la ténacité des minorités. De ces marges qui choisissent la planque pour être certaines de transmettre.

Ou tout le contraire : celles qui s’exhibent avec un panache insolent, qui se surexposent pour faire valoir leur existence. La créativité fait partie du paquetage classique pour les peuples entrés en résistance.

Les Kurdes sont bien placés pour le savoir. 

Pour rejoindre le Kurdistan depuis le Bengale (provenance de ma dernière chronique), un simple transport de l’imagination suffit. Et si jamais, l'actualité sait nous trouver. 

View on the Mosul Dam lake, the village of Khaneke and the new UNHCR IDP's camp not in service yet, august 2014, Khaneke, iraqi Kurdistan © Edouard Beau

Kurdistan.  Une terre de contrastes qui s’étend des confins ouest de la Turquie jusqu’au Golfe persique iranien. Un pays au statut mille fois débattu qui emprunte à l'Irak et la Syrie. Les chaînes des monts Taurus et Zagros en forment la colonne vertébrale. Le Tigre et l'Euphrate, mais tant d’autres rivières, y prennent source, arrosant de fertiles vallées. 

Environ 40 millions de Kurdes sont écartelés entre quatre pays, sans compter les îlots de peuplement dans le Caucase et en Asie centrale, et la diaspora grandissante en Europe et aux Etats-Unis. 

Retour ultra concis sur l’histoire. 

Mars 1988 : Saddam Hussein accuse les Kurdes de collaboration avec l’armée iranienne. Les représailles prennent la forme du massacre d’Halabja, consistant en une pluie de bombes chimiques. Une odeur écœurante de pomme se répand sur la ville et en cinq heures, 5 000 vies sont prises.

Le poète kurde Rebwar écrira plus tard cette strophe : "si je ne suis pas comme vous une histoire perdue, je vous promets de raconter partout la pluie mortelle des oiseaux du Kurdistan, le frémissement de leurs ailes, pour que l'humanité entende le cri sans voix de mon pays endeuillé."

Rebwar Saeed, La pluie d'oiseaux © Asso. La pluie d'oiseaux

Octobre 1991 : Saddam perd la première guerre du Golfe et pour empêcher le régime irakien de se retourner contre sa population, une zone d'exclusion aérienne au nord du 36ème parallèle est décrétée par les alliés. Les troupes irakiennes quittent le territoire. La région du Kurdistan est sécurisée. Elle regagne un peu d’autonomie administrative. 

La culture kurde, interdite jusqu’alors, a de nouveau droit de cité.

Un barde mi-paysan, mi-guerrier, rentre momentanément à la maison. Armé d’un luth saz, affublé du pantoul et du keffieh traditionnels, il surgit sans détours dans le décor. Et avec lui, une chanson au goût de révolution, un étendard hypnotique…

Sous un ciel lourd, depuis une plateforme surélevée et branlante, Şiwan Perwer est campé derrière son micro, le centre de gravité ficelé à la chaise. Il a cloué leur bec aux autres joueurs de cordes qui le dévorent d'admiration. Et comme un dragon barbu à qui rien ne résiste, il ne fait qu’une bouchée de la marée humaine opaque lui faisant face. Il y a là amassées des femmes, mais surtout des milliers de soldats kurdes Peschmerga – des milliers de types en liesse, ahuris, dansant comme des furieux… À tel point qu’on ne distingue plus les limites de la foule ; impossible de dire combien sont ces hardis défenseurs de la cause kurde auxquels le seigneur Şiwan est en train de rendre hommage ! Ce qui est sûr, c’est que les kalachnikovs paraissent ici aussi anodines que les briquets dans un concert de Johnny. 

Né dans la région d’Urfa en Turquie, Şiwan Perwer, comme ses ancêtres, crache sa verve de dengbêj, "celui qui dit". Qui dénonce, qui scande les faits d’armes et les heures de gloire. Celui qui se porte garant de la mémoire. Qui célèbre l’amour aussi, et la douceur de la mère. Qui arrache, en somme, le droit d’exalter et de faire du bien en langue kurde.

Le titre de ce tube qui finit de le propulser ce jour-là en demi-dieu de la résistance est "Kine Em". Et c’est une question. Elle signifie "Qui sommes-nous ?"

La chanson y répond avec une fierté mordante, conquérante. Elle s’ouvre sur une comparaison entre le tempérament kurde et la nature sauvage et libre qui l’inspire ; elle balaye les référents identitaires, du terreau zoroastrien aux héros des épopées historiques, des créatures surnaturelles victorieuses du mal au symbole de renaissance de Nowruz (l’équinoxe de printemps). Elle charge aussi d’une mission sacrée la descendance. "Longue vie au Kurdistan, mort à l’oppresseur !" clame la dernière phrase. 

Ce n’est plus une pluie, mais une tornade de mots. Des mots qui disent la communauté / la douleur / la rage / l’espoir / la solidarité / le destin... Ce culot d'être la Voix, Şiwan Perwer l’a payé avec trente ans d’asile politique amorcés en 1976, à une époque où chanter en kurde aux abords de l’Université d’Ankara était un crime. Il atterrit en Allemagne. Sa côte de popularité ne décline pas, ses cassettes circulent sous le manteau, les dealers risquant la tôle en Turquie, et la vie en Irak. 

En 2013, Erdoğan autorise le barde à rentrer pour de bon, mais l'essentiel de son œuvre reste prohibée.

Un proverbe kurde dit qu’ "un bon chanteur est capable de chanter, alors même que la demeure croule".

Et justement, en vue de cette chronique, vendredi dernier (comme quoi la vie est un jeu de pistes assez fiable), je passe un coup de fil à l’Institut kurde de Paris. Là, j’apprends que non seulement que Şiwan donnera un concert solo deux heures plus tard dans une petite salle du 11e, mais qu’il le fera en soutien à l’Institut.

L’Institut kurde, fondé il y a 32 ans, va mal financièrement. Cet organisme culturel indépendant, non politique et laïc, qui regroupe entre autres des intellectuels et des artistes kurdes, a besoin de notre aide. De TON aide, toi l’auditeur et de la VÔTRE, chers invité et collègues chroniqueurs. Il menace de fermer. Tous les renseignements et la pétition sur www.institutkurde.org.

Extrait du concert offert à toutes les générations par le raconteur d'histoires Şiwan... Chanson d'amour ! 

concertSiwancopyrightEdithNicol

KINE EM? by Şiwan Perwer

Translation picked up here!

"Who we are (Kine em)? Who we are, you ask ?
The Kurd of Kurdistan, a lively volcano, fire and dynamite in the face of enemy. When furious, we shake the mountains, the sparks of our anger are death to our foes.

Who we are ? We are in the east, forts and castles towns and hamlets, rouks and boulders, What irony, what a shameful day ! A slave we are now for blood suckers Yet we saved the Middle East from the Romans and the crusaders. 

Who we are ? Ask the Near East, ask the Middle East, villages and towns, plains and deserts. They were once all mine when by war and knowledge we defeated rivals to become crowned over an empire stretching to the borders of India.

Who we are ? We are the proud Kurd, the enemies' enemy, the friend of peace-loving ones. we are of noble race, not wild as they claim. our mighty ancestors were free people. Like them we want to be free and that is why we fight for the enemy won't leave in peace and we don't want to be forever oppressed.

Who we are ? We shall free our land from the tyrants; from the crrupt Shah and Mollas, from the Turkish juntas so we may live free like other nations, so our gardens and meadows are mine again; so we can join the struggle for the good of mankind. 

Who we are? It was we who defeated Richard the Lionheart our own blood we shed to defend these regions. A thorn we was in our enemies' side; in our shadow lived the Arabs, Turks and Persian; many a king held my horse's head. Yes, we are the warrior, we are Saladin, the King of Egypt, Syria and Israel. 

Who we are ? We are Ardashir, we are Noshi Rawan. In the ancient days rivals feared our caesars regretted our animosity. we knew no fright; in love with adventure; from India to Greece they paid us tribute. 

Who we are ? Yes, we are the Kurd, the Kurd of Kurdistan who is poor and oppressed today. our castles and forts are now demolished; our name and our fame' swindled by our assailants, those who set germs into my body to paralize our existence making a nameless soul of us; a nation with no friends. 

Who we are? We are the one who despite it all remains the unyielding Kurd; still formidable to the enemy. The smell of dynamite is again in my nostrils and in my heart the strong desire to erupt. we are the fighting valiant of mountains who is not in love with death but for the sake of life and freedom he sacrifices himself so that the land of his ancestors, the invincible Medes; his beloved Kurdistan, may become unchained.

Who we are? One of our ancestors was the Blacksmith Kawa who slayed Dahak, the notorious tyrant to break off chains from Kurdish shoulders and save many heads from the sword and death. The day his vicious reign ended was called NEWROZ, the New Day. When Newroz comes winter departs taking with it the dark harsh times to make place for light and warmth. This is the time, as Zoroaster says, the evil spirit Ahriman is defeated at the hand of Ormazd, the God of wisdom and light.

Who we are? We are the maker of Newroz; again we shall become our own master, the ruler of our land so we may enjoy the fruits of our orchards, relish the sacred wines of our vineyards and put an end to a dark era by seeking salvation in knowledge and science; we shall make another new day and breathe the pure air of the liberty. 

Who we are? We are Kordokh, the good old Khaldew; we are Mitani; Nayri and Sobaro; the son of LoLo; Kardok and Kodi; we are the Mede, the Gosh, Hori and Gudi; we are the Kurmanc, Kelhor; Lor and Gor; yes, we have always been and remain the Kurd. Despite centuries of suppression in a country by force divided.

Who we are? We are the children of Lor, Kelhor and Kurmanc who have lost crown and reign to become powerless, betrayed in the name of religion to carry rosaries in their hands duped by the rulers, deprived of might and wealth, fighting each other, divided and torn while my oppressed Kurdistan, my wretched Kurdistan remains prossessed.

Who we are? The chilldren of the Kurdish nation awaken from deep sleep, marching forward, proud as a lion wanting the whole world to know; we shall struggle and continue the path to freedom; we shall learn from great men, we make a vow to our ancestors, to Salar, Shergo and Deysem, that this of our will remain vigorous, unyielding, stronger than death. Let it be kown; we announce with no fear; Liberty is our goal; we shall advance in this path.

Who we are ? We are not blood thirsty; no, we adore peace. Noble were ourancestors; sincere are our leaders, We don't ask for war but demand equality but our enemies are the ones who betray and lie. Friendship we seek and offer my hands to all friendy nations. Long live Kurdistan; death to the oppressor!"


Remerciements à l'inspirateur Adrien (à son insu), à mes copines de collège, à l'inconnu assis à ma gauche pendant le concert, à Kendal Nezan (qui ne le sait pas mais devrait), à la communauté kurdo-parisienne, et aussi un peu à Danielle Mitterand. 

tags: rain, Bouvier, Kurdistan, Siwan Perwer
categories: East, Radio
Monday 10.05.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]
 

Chronique #4 Raining Melodies ⟨Rural Bengal⟩

LUNDI 28 SEPTEMBRE 2015 ⦾ ⦿  PODCAST DE L'ÉMISSION SUR NEW MORNING RADIO !


La semaine dernière, ma chronique barbotait dans l’atmosphère mousseuse de Calcutta, où parapluies, couvre-chef variés et tongs plastifiées deviennent, le temps d'une saison, des extensions naturelles pour quelques 16 millions de corps amphibies.

Aujourd’hui : nouvel épisode chez les Bengalis. Leurs regards restent rivés vers le ciel et leurs oreilles n’en finissent plus de se tendre vers le lointain : elles traquent les grondements avant-coureurs. Mais apparemment, c’est en vain, puisque la pluie allume la ville sans prévenir et met les voiles à la vitesse de l’éclair. 

Plus rien, donc, ne semble prévisible dans le mouvement du ciel. Et peu importe : l’esprit de la mousson, attendue ou subie, ne cesse d’inspirer… 

RAINING MELODIES, CHAPITRE II. 

Passons les frontières de la ville – la ville est arrogante, surtout Calcutta. Et remontons à la source, en prenant le temps d’un détour rural. 

Monsoon Rains, Monghyr, Bihar, 1967 © Raghubir Singh

Monsoon Rains, Monghyr, Bihar, 1967 © Raghubir Singh

West-Bengal indien, Bangladesh, culturellement, des jumeaux hétérozygotes... Pour sa part essentielle, le Bengale est ce plat pays ceinturé par l’immense tresse d’eau du Gange et celle de son cousin sauvage le Brahmapoutre, mis en pièces par leurs affluents, avant de se retrouver pour un peu d’amour libre, puis de se disloquer une dernière fois dans le plus grand delta du monde. Leurs flots changent de noms à chaque lacet.

La première tresse, venue de l’ouest, exubérante, n’appartiendrait à nul autre qu’au Seigneur Shiva. Il aurait dompté, dans l’enchevêtrement de ses cheveux de cendres, l’impétueuse Ganga. La Déesse menaçait de séparer la terre en deux, alors il fallait bien l’arrêter… Après avoir fécondé la plaine, le fleuve se défait en milliers de mèches, formant plein sud une mangrove que se partagent une poignée de pêcheurs-cueilleurs héroïques et une brigade de tigres assez francs du collier.

La terre bengalie, quadrillée de rivières, a son miroir… et c’est le ciel. Le ciel dont on ne peut que chérir les camaïeux mobiles. Des flux et reflux de lumières au gré des six saisons.

Au pic de l’été fournaise - l’équivalent de notre printemps, il paraît comme enlisé, ce ciel. Les gorges se dessèchent dans l’angoisse. Les rives sablonneuses ne livrent plus que de la poussière. Les martins-pêcheurs se suicident dans la boue figée. Les feuilles du manguier échoient dans la cour. La maîtresse de maison cuisine péniblement ce qu’elle peut. 

Du Cooch Bihar au nord, aux Sunderbans plein sud, en passant par Sylhet à l’est du Bengale oriental, les villageois guettent ce ciel trop pur. Leur cœur est au bord de l’implosion tant ils souffrent du désir de pluie… On interpelle, on supplie alors Dieu.

Voilà ce que narre cette chanson folk, Allah megh de, pani de (« Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau »), composée par le maître du genre bhawaiya, Abbas Uddin Ahmed, gentleman-ménestrel des années 30.

Le ciel ne se laisse pas aisément attendrir. À son heure, et seulement à son heure, il consent à quelques signes. Alors, sa voûte versatile se recompose instantanément. Et le vent, son pinceau, trace de saisissantes formes géographico-futuristes…

Plus tard, le ciel bouillonne et se fissure pour ouvrir une ère de libération. La rondeur généreuse des rivières à venir… la fertilité des terres qui oscillent du jaune pop au vert acidulé... le grand salut, c’est lui !

D’après le calendrier traditionnel bengali, deux mois seulement sont dévolus à la mousson. Le premier est Ashar : lorsque les pluies sont intermittentes, mais puissantes, voire dévastatrices. Les grandes eaux investissent toute cavité offerte, faisant vriller le plat en plein – trop plein. Le deuxième mois est Srabon : les nuages se lassent du cache-cache, et en continu, font tomber des rivières à la verticale. Les pluies sont certes adoucies, mais on s’endort et on se lève dans des draps moites, on parcourt le chemin de l’eau aux genoux, et on soupire de neurasthénie. Changement climatique oblige, la mousson s’étale désormais sur quatre mois… chargeant les villages de sons saisonniers.

Comme les gestes du quotidien, les voix, les mots, s’ajustent au ciel. Accompagnée au luth dotara, voici une chanson minimaliste à forte teneur mélancolique, dérivée des années 50. Son auteur et interprète est Bijoy Sarkar, un ménestrel des plus spirituels qui aura marqué la mémoire orale du Bengale d’avant la Partition.

Le pitch : la mousson bat son plein. Une tempête noie le banc de sable où vit Bijoy le Fou et évidemment balaye sa cabane. Elle n’épargne ni ses possessions matérielles, ni son cœur ; mais le feu intérieur du poète bâul, son esprit vagabond résiste… et rivalise de fantaisie. Une nymphe des eaux se manifeste alors depuis l’arbre « toujours vert » qui dépasse des eaux. En contemplant le désastre, elle pleure le chagrin inextinguible du poète, elle pleure l’ironie du destin…


Allah megh de, pani de / Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau

La chaleur de l’après-midi fait tout flamber, les rives sablonneuses n’en finissent plus d’être infertiles.

Poitrines incendiées, gorges desséchées,

Seigneur, donne-nous des nuages, donne-nous de l’eau, donne-nous de l’ombre.

Le ciel se fend en éclats, la terre se craquèle.

Le Roi des nuages est endormi, mais qui donc nous donnera de l’eau ?

Le maître de maison a attaché son bœuf et pleure d’impuissance, la réclamant à grands cris,

La maîtresse de maison se répand en larmes tout en cuisinant lentilles et bouillie,

Les feuilles du manguier tremblent, celles du jacquier dégringolent,

Les martins-pêcheurs, crevant de soif, meurent dans la boue des lacs.

Les rigoles, les lacs et les rivières sont fissurés,

Les oiseaux, dans leur complainte funèbre, sont condamnés.

Le couple de pigeon pleurniche dans son nichoir,

Les bourgeons flétris échoient sur le sol…


Remerciements au ciel (toujours) et à Soumik Datta, Saurav Moni, Arunima Choudhury. 

tags: Bangladesh, West Bengal, monsoon, Abbas Uddin Ahmed, Bijoy Sarkar, bâul, poetry, rain, sky, Calcutta
categories: Radio, India, Bangladesh
Monday 09.28.15
Posted by Edith Nicol [MusicBox]