« Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les villes et les rues. » Francis Picabia (Ecrits II)
Le nomade se met-il en marche s’il n’a pas de terre promise à laquelle rêver ? Et à quelle terre peut donc bien aspirer Vincent Moon, de son vrai nom Mathieu Saura, lui qui crève les frontières à la vitesse d’un albatros, à la façon d’un Ulysse paisible ? Affublé d’un pseudonyme qui laisse songeur, la lune serait-elle son île d'Ithaque ou simplement le seul lieu acceptable précisément parce qu’elle est inatteignable ? Le photographe Depardon se souvenait d’un mot sensé sur l’errance : « [elle] est certainement l’histoire d’une totalité recherchée. » Car « l’errance n’est ni le voyage ni la promenade, mais bien la quête d’une réponse : que fais-je ici ? »
Sans trêve, Vincent filme la musique, sa genèse, ses lieux, partout où il passe – hasards choisis. Ses rencontres comme les petites perles d’un collier de vie déterminent la trajectoire. Ces jours-ci l’Amérique latine. Ces prochains mois, l’Asie centrale. Entre temps, Saint-Florent-le-Vieil pour une escale improbable, où il rêve d’ « une forêt où emmener des musiciens et se cacher, d’un coin de nature avec des bruits d’animaux… »
Comme tout cinéaste accompli, il fait de la caméra le prolongement de son œil et de son cœur. Il s’efface ou plutôt devient silencieux pour se livrer à l’expérience du monde. Assez pour que ses images soient la trace vraie de ses vagabondages et deviennent les nôtres par ce qu’elles montrent d’altérité. « Comme dans l’œuvre universelle et pourtant si intime de Saint-Exupéry, n’existe plus ni temps, ni espace. »
Scruter quelques films parmi les centaines qu’il sème sur internet en libre accès, c’est entrer à l’intérieur de la sensation que provoque la musique. L’image lisse devient « chair animée » à travers ces détails qu’il absorbe en les laissant vivre jusqu'à l'instant de la restitution. Temps réel, son direct, spectacle de rue en prise unique. « Quand Vincent tourne, la caméra se retourne : les musiciens-acteurs, les spectateurs, badauds et autre accessoires vivants ou inertes, conscients ou non, sont conviés et le tournage devient théâtre ! (…) Cette innocence si calibrée rend invisible l’énorme mise en scène qui fait de l’apparente improvisation, la dimension la plus maîtrisée du vrai spectacle populaire.» – Jean-François Estienne, Maison de France, Rio de Janeiro (2013)
D’une cérémonie champêtre de jeunes madones aux confins de la Tchétchénie aux obscurs rites sorciers de Java, il y a là « collection subjective et nomade d’enregistrements sonores visuels et culturels du monde », bien loin de l’esprit tatillon de l’ethnographe. Et parfois, des voix pudiques, saturées de mémoire, tributaires de la terre, dans lesquelles crépite la grâce, indiscutable.
Dresser une cartographie imaginaire suppose qu’instinct et conscience aient fait pacte d’allégeance mutuelle. L’art de l’Instant est exigeant. Vincent Moon semble le maîtriser parfaitement.