Ménestrel itinérant, chanteur mystique, mendiant philosophe, voyageur de l’esprit, paysan visionnaire, individu viscéralement libre et humaniste… Qu’il soit né hindou ou musulman, bâul ou fakir, celui qui cherche l’absolu explore, loin des orthodoxies religieuses, des observances rituelles et des règles de la société villageoise.
Bâul tirerait son origine du sanscrit vatula : au sens propre, « éventé » ; au sens figuré, « fou ». Ainsi proclamé, le poète mystique fait de la pratique [praxis] du corps son sacerdoce, car Tout est dans le corps, ce microcosme de l’univers – ainsi que le professe Fakir Lalan Shah, le Saint de Kushtia (1792-1890)[1]. Ainsi, si l’homme est la mesure du Sacré, pourquoi chercher l’objet du désir ailleurs qu’en Soi-même ?
L’Homme du Cœur, l’Homme insaisissable ou encore l’Homme libre, nommé Moner Manush, est cette part incarnée de l’âme qui prévaut sur le divin transcendant. Il est ce Maître invisible et sans forme que recherchent au présent, inlassablement, le bâul et le fakir engagés. Il est cette clé dont on devient dépositaire à travers le sâdhana, la seule action qui ne soit pas temps perdu. S’ouvrir à l’expérience de Dieu en soi, notamment par l’union des principes masculin et féminin, telle est la quête.
Le bâul et le fakir apprécient les rassemblements – ceux des célébrations festives du monde rural, comme ceux du quotidien –, mais ni l’un ni l’autre ne se reconnaissent dans une communauté d’attache. Ils sont iconoclastes, ils peuvent déranger. En particulier les extrémistes tous azimuts pour lesquels ils personnifient une menace contre le dogme et la coercition religieuse ; mais aussi, en un sens, la bourgeoisie bengalie qui, bien que férue de poésie et amoureuse de Rabindranath Tagore, ce héros national qui les fit connaître au monde intellectuel, s’accommode moyennement de ces marginaux qui heurtent la bonne conscience brahmanique par leurs pratiques excentriques. Au mieux, on les juge exotiques.